La position sociale des femmes arabes au Moyen-Orient: entre le rapport à soi et le rapport à l’autre
La position sociale des femmes arabes au Moyen-Orient: entre le rapport à soi et le rapport à l’autre
Rola Ali Koubeissy([1])
ملخص
في العقود الأخيرة،عرف وضع المرأة الاجتماعي في الدول العربية تقلبات كثيرة بسبب الواقع الاجتماعي والثقافي والتاريخي لهذه البلدان. وبالرغم من ذلك، فإن المرأة العربية في صراع مستمر لتعديل وتحسين وضعها الاجتماعي. تهدف هذه المقالة إلى تحليل الموقف الاجتماعي للمرأة العربية في الشرق الأوسط على ضوء إطارين نظريين، أولًا، النهج الاجتماعي التاريخي الثقافي (Vygotsky، 1978م) الذي يأخذ في الاعتبار الطبيعة الاجتماعية والثقافية للتطور، واستخدام الفرد للأدوات التاريخية والثقافية التي تؤثر على التفاعلات الاجتماعية، وثانيًا إطار مدرسة بالو ألتو (Bateson، 1981؛ Kourilsky، 2014م). ويفحص هذا الإطار الأخير عملية التحول والتغييرات في النظام البشري، وكذلك العلاقات التي تحكمه. وبشكل أكثر تحديدًا، نسعى في هذا المقال إلى تحليل الطريقة التي تتكيف بها المرأة لتعيش ضمن نظام يُعرّف على أنه نظام أبوي. هل تعمل المرأة على تغيير استراتيجياتها ومنطقها لتطوير لعبة التفاوض؟ هل تعيد تعريف وتفسيرالعلاقات التي تحكم الأشخاص بشكل مختلف لتطوير علاقة جديدة مع نفسها ومع الآخرين؟ الهدف من المقالة هو تسليط الضوء على مشاكل معينة واقتراح أدوات تحليلية بعيدًا عن الحكم على الواقع أو تقديم إجابات.
Résumé
Dans les dernières décennies, la position sociale de la femme dans les pays arabes au Moyen-Orient a connu des fluctuations dépendamment des aspects socio-culturels et historiques de ces pays. Or, la femme arabe est en combat permanent pour modifier et améliorer son statut social. Cet article vise à analyser la position sociale de la femme arabe au Moyen Orient à la lumière de deux cadres théoriques, l’approche socio-historico-culturelle (Vygotsky, 1978) qui tient compte de la nature sociale et culturelle du développement, et de l’utilisation de l’individu des outils historiques et culturels qui influencent les interactions sociales, et le cadre de l’école de Palo Alto (Bateson, 1981; Kourilsky, 2014). Ce dernier cadre permet d’examiner le processus de transformation et des changements dans le système humain, ainsi que les communications qui y prennent lieu. Plus spécifiquement, nous cherchons à analyser la manière dont les femmes s’adaptent et s’ajustent pour vivre dans un système qualifié comme patriarcal. Est-ce qu’elles changent de logique et de stratégies pour faire évoluer le jeu de négociation de position ? Est-ce qu’elles définissent et interprètent les relations interpersonnelles autrement pour développer un nouveau rapport à soi et à l’autre ? Le but de l’article est de mettre en évidence certains problèmes et de proposer des traits d’analyse plutôt que de juger la réalité ou d’apporter des réponses.
Contexte
Dans les dernières décennies, la position sociale de la femme dans les pays arabes au Moyen-Orient a connu des fluctuations en fonction des aspects socioculturels et historiques de ces pays. Plusieurs facteurs ont influé sur le rôle de la femme, sur ses droits et sur sa marge d’indépendance et de liberté. En effet, dans certains pays, la situation politique et économique, le conflit, le discours religieux, le rapport à l’Occident, les habitudes et les coutumes ont altéré le rapport de la femme à l’autre et à soi. De plus, les femmes sont confrontées aux pratiques sociales et aux lois institutionnelles et gouvernementales parfois discriminatoires. Plus spécifiquement, ces femmes, comme plusieurs dans d’autres pays du monde, sont confrontées à la dynamique de l’idéologie patriarcale qui a fait émerger un jeu de pouvoir caractéristique du contexte social. Ce système fondé sur la domination masculine conclut à une position de supériorité de l’homme sur la femme et a promu depuis longtemps sa marginalisation de la vie politique et sociale. Moghadam (2007) mentionne qu’il ne s’agit pas seulement de l’accès à l’éducation et à l’emploi, mais aussi à la participation politique, à l’expression culturelle et à l’équité des droits. En effet, le rapport de 2002 sur le développement humain dans le monde arabe concluait que la région souffrait de déficit dans les trois domaines suivants: le savoir, les droits politiques et le droit des femmes (Moghadam, 2007). Depuis, la situation n’a pas vraiment évolué. Cet écart pourra être plus visible dans ces pays en raison de l’institution sociale elle-même qui légalise la discrimination et le conflit politique et économique. De plus, la résistance au changement y est plus grande qu’ailleurs (Moghadam, 2007). Pourtant, malgré cette réalité, certaines femmes arabes au Moyen-Orient ont tenté de combattre pour leurs droits sans oublier le rôle qu’elles ont joué à certains moments dans l’histoire du monde arabe surtout sur les plans politique, révolutionnaire, social et idéologique, et ce, à partir du début du vingtième siècle.
Bien que la discrimination fondée sur le genre n’est pas spécifique au Moyen-Orient et existe un peu partout dans le monde, le rapport de 2004 de l’ONU montrait que les progrès pour améliorer la situation dans le monde arabe restent minimes (Moghadam, 2007). Nader (2006) considère que dans les deux parties du monde, il y a des idéologies qui glorifient le statut des femmes; dans les deux parties, le statut bas des femmes s’expliquerait par leur infériorité inhérente. Mernisi (2001, citée par Rey, Martin, et Bäschlin, 2008) va dans le même sens en signalant que le patriarcat est une idéologie commune aux deux mondes. Elle signale que dans sa version orientale, le patriarcat reposerait sur la distribution de l’espace alors que dans sa version occidentale, il procéderait plutôt par la réduction des femmes à leur corps à travers la manipulation de l’image.
Même après le printemps arabe[2], la position des femmes demeure préoccupante. Pas seulement parce qu’elles sont toujours exclues des lieux de décision, mais aussi parce que la violence et le harcèlement sexuel constituent un problème important. Le conflit a changé le profil social et culturel des sociétés, surtout à cause des migrations. Dans un pays en conflit, il ne s’agit plus seulement du système patriarcal, mais plutôt de l’imbrication de nouveaux rapports qui s’imposent et de nouvelles conditions de vie et de priorités. Il se peut que l’équilibre familial soit altéré et que les rapports traditionnels entre hommes et femmes soient transformés. La femme se trouve devant plusieurs programmes; elle avait l’occasion d’entrer dans le jeu du changement revendiqué tout en insistant sur un discours basé sur ses droits. Est-ce que la femme combattra pour son pays, pour sa famille, pour sa libération et pour ses droits? Est-ce qu’elle bénéficiera du nouveau contexte pour contester le système patriarcal? Est-ce qu’elle essaiera, le cas échéant, de négocier son statut?
Le rapport publié par le forum économique mondial en 2012 sur l’inégalité entre les genres montre que les femmes de certains pays arabes n’ont pas réalisé d’avancée remarquable sur le plan de leurs droits surtout en ce qui concerne la participation à la vie politique. Bien que nous ayons vu plusieurs femmes qui ont bien participé aux manifestations pour revendiquer des changements politiques et sociaux, elles ont payé le prix de cette participation sous forme d’arrestations, de harcèlements sexuels et de meurtres, selon le rapport CARE international, publié en 2013. En fait, ce même rapport mentionne que les violences sexuelles ont augmenté après le printemps arabe, surtout en Égypte. Cependant, ce rapport a dressé un nouveau profil de la femme arabe à partir d’entrevues menées auprès d’environ 300 femmes et hommes militantes et militants en Égypte, au Yémen, au Maroc et dans les territoires palestiniens occupés. Ce rapport a souligné le rôle que certaines femmes, qui n’avaient jamais pris part à la vie politique, ont joué au cours des soulèvements pour améliorer leurs sociétés. Mais nous ne sommes pas optimistes au point de prétendre que le rapport de la femme à soi et à l’autre a changé et qu’il y a eu un changement social dans leur vécu.
Partant du postulat que le système patriarcal dominait et que le rapport de la femme à soi et à l’autre est peu ou pas changé depuis plusieurs années, nous visons d’en faire l’analyse à la lumière de deux cadres théoriques qui se complètent l’un l’autre. D’abord, l’approche sociohistorico-culturelle (Vygotsky, 1978) qui tient compte de la nature sociale et culturelle du développement puis le cadre de l’école de Palo Alto (Bateson, 1981; Bériot et George, 2007; Kourilsky, 2014) qui nous permet d’analyser le processus des tentatives de changements dans la position sociale de la femme.
L’approche sociohistorico-culturelle : une déficience dans les outils?
Cette approche fournit des explications sur la nature sociale et culturelle du développement et, par conséquent, sur le rôle de l’autre et des outils dans le processus de développement de l’individu (Vygotsky, 1978). Plus précisément, le développement mental de l’individu est basé sur la médiation sémiotique de l’autre qui, dans notre cas est l’interaction de la femme avec l’homme, et avec tout autre outil culturel créé dans le contexte social et culturel avec lequel l’homme interagit dans des situations historiques et culturelles qui permettent leur évolution (Cole, 1996; Schneuwly, 1985). Ainsi, le comportement de la femme et son développement dans plusieurs domaines[3]ne peuvent pas être interprétés sans prendre en considération le contexte[4] social et culturel qui les définissent, c’est-à-dire les outils[5] qui constituent le contexte dans lequel elle vit et qui varient d’une femme à l’autre et aussi son partenaire quelle que soit sa position. En fait, l’outil agit sur l’homme et lui permet d’atteindre un développement psychique en l’internalisant, puis ce dernier poursuit son développement; il agit sur l’outil, le change et le fait évoluer et agit, par conséquent, sur tout ce qui l’entoure. Donc, la médiation sémiotique est de nature dialectique et la femme doit disposer d’outils convenables qui lui permettent de se développer et d’agir en conséquence pour faire évoluer les éléments du contexte. Pourtant, l’outil n’est pas seulement un objet physique ou psychologique (langue, signe…) isolé de son contexte social et que l’individu assimile à son entourage; il s’agit aussi des expériences de vie, des valeurs, des normes et d’autres produits de la culture que l’homme s’approprie (Cole, 1996). La femme internalise donc les valeurs et les normes de la société dans laquelle elle vit et agit en fonction de celles-ci.
Cette théorie nous permet d’affirmer que la position de la femme est sujette à différents facteurs et que dans un contexte de conflit, le rapport à soi et à l’autre pourra se changer à la suite d’interactions entre les individus à la lumière de nouveaux outils du contexte. En même temps, le développement psychique de la femme qui reflète ses actions pour revendiquer les changements de son statut se base sur son «déjà-là», donc sur ses expériences ultérieures avec l’homme et la société, sur son bagage culturel et sur ses croyances. Or, dans un système patriarcal régi par des normes et des valeurs strictes et rigides, des lois injustes, des restrictions et des interdictions, la femme n’a pas accès à des outils qui enrichissent ses expériences et son profil. La femme agit en se basant (inconsciemment) sur son histoire personnelle qui, dans certains cas, n’est ni victorieuse ni même réussie. De plus, son interaction avec l’autre ne l’aide probablement pas à développer ses idées et ses croyances, car cet autre, surtout lorsqu’il s’agit d’un élément du système patriarcal, est vu comme un obstacle et non comme un outil de développement. Donc, à l’intérieur d’un système rigide, l’interaction de la femme avec les produits de la culture (outils et autres) reste limitée et n’aboutit pas nécessairement à un développement psychique convenable pour achever un changement de vécu et de statut. C’est comme si la femme régénère le même système qu’elle conteste tout en interagissant avec les mêmes outils sans les faire évoluer. Pour sortir de ce cycle vicieux, la femme est appelée à explorer de nouvelles occasions, à puiser dans sa culture pour ressortir de nouveaux outils et s’en armer pour développer ses propres dispositifs de pensée. Les occasions fournies par le nouveau contexte social et culturel lui permettent d’acquérir un changement (sa participation à des soulèvements et à la vie politique, son développement d’un programme culturel basé sur les préalables du nouveau contexte…). Cela pourra aboutir à un changement dans son rapport à l’autre et dans le rapport à soi grâce à l’intériorisation de nouveaux outils, ce qui pourra aussi mener à un changement dans sa position sociale.
Néanmoins, pour combler l’écart résultant du déficit dans les outils culturels convenables, la femme arabe a parfois eu recours aux outils qui s’ancrent dans la culture du monde occidental, ce qui ne lui a pas permis d’agir efficacement sur le système qu’elle conteste. La femme ne peut pas interagir efficacement avec des outils qui ne lui appartiennent pas et qui ne sont pas en lien avec son contexte social. En effet, l’outil n’est pas nécessairement perçu, utilisé et interprété de la même façon par les individus, surtout ceux qui appartiennent à des cultures différentes. L’outil est sujet à des interprétations basées sur des expériences personnelles. Ainsi, chaque société a un système d’outils, de pratiques et d’instruments spécifiques qui permet à l’individu de former collectivement ses fonctions psychiques supérieures (Schneuwly, 1985), ce qui peut être une raison pour laquelle la femme au Moyen-Orient n’a pas pu se faire entendre. Nader (2006) soulève que les femmes au Moyen-Orient sont accusées d’être séduites par le modèle occidental. L’auteure considère qu’une partie de la compétition entre l’Orient et l’Occident concerne le contrôle des femmes orientales. Au Moyen-Orient, ce conflit a généré un courant social qui résiste à l’hégémonie des modèles occidentaux de contrôle du genre, car cela a des répercussions sur la continuité de la tradition orientale. Bessis (2007, citée par Rey, Martin, et Bäschlin, 2008) relève que les féministes arabes sont l’objet d’un fort rejet parce que leur lutte est associée aux valeurs occidentales, ce qui pourrait faire perdre à la femme arabe sa crédibilité concernant son discours sur ses droits.
Avec des outils limités, comment la femme peut-elle communiquer et interagir à l’intérieur d’un système patriarcal pour développer ses propres outils qui lui permettent d’agir sur ce même système et de le faire évoluer progressivement au lieu de le reproduire? Comment peut-elle changer de stratégies pour pouvoir modifier son statut et ne pas rester figée dans son histoire?
Le cadre de l’école Palo Alto : problème dans l’art de communiquer?
Ce cadre définit la communication comme un système composé d’interactions circulaires (Bateson, 1981) qui, dans notre cas, comprend la femme, l’homme et tous les éléments du contexte social, incluant les outils. Ainsi, l’objet étudié fait partie d’un réseau de relations formant un système (Bériot et George, 2007). On ne peut pas comprendre le comportement de la femme sans la mettre en rapport avec les autres individus et avec le système que nous avons défini comme étant patriarcal.
Selon l’école de Palo Alto, Marc et Picard (1984) définissent le système comme étant l’ensemble des éléments qui dépendent l’un de l’autre et dont un changement dans l’un aboutit à un changement dans l’autre. Le système humain est formé d’individus en interaction (les éléments) dont les comportements forment les propriétés. Ces auteurs expliquent que ce système est dit ouvert parce qu’il communique sans interruption avec son environnement : il y a des entrées (action du contexte sur le système) et des sorties (actions du système sur l’environnement) et il est régi par un cadre symbolique ou institutionnel. Il s’agit ici de l’ensemble des normes culturelles et sociales qui structure le système patriarcal et qui définit le statut de la femme à l’intérieur de ce système. Ceci dit, tout changement dans le système exige un changement sur les plans de ses éléments constitutifs et de ses interactions internes, ainsi que sur celui des facteurs du contexte. Un système est aussi fonctionnel dans le sens que son réseau de communication permet sa conservation, son autorégulation, sa reproduction et son adaptation à l’environnement (Marc et Picard, 1984). Cette communication est d’ordre interactionnel (Bateson, 1981), c’est-à-dire un phénomène circulaire basé sur la qualité de la relation avec l’autre (Kourilsky, 2014). Il ne s’agit pas d’informer ou d’envoyer un message à l’autre; il s’agit plutôt d’interagir pour construire un sens commun sur le sujet discuté. En d’autres termes, la relation femme-homme passe au-delà du contenu verbalisé et les deux ont besoin de comprendre le sens derrière les messages pour co-construire un sens commun. Bateson (1981) considère que chaque être humain a besoin de comprendre comment est reçu son message pour savoir ce qui a été dit, surtout en insistant sur le caractère inconscient de presque toute communication. C’est donc un jeu de négociation, de dialogue et d’échanges dont la femme a besoin d’en posséder les clés. Selon Kourilsky (2014), la négociation est au cœur de la communication interhumaine qui s’inscrit dans un nouveau jeu de pouvoir, car elle nécessite un changement dans la manière dont on interprète la situation. Donc, le comportement de la femme n’est pas la cause du comportement de l’homme, car les deux s’influencent mutuellement par la causalité circulaire qui régit les interactions (Kourilsky, 2014). À ceci, il faut ajouter l’expérience personnelle (Bateson, 1981) qui entre en jeu, ce qui rend complexe le fait de trouver une relation linéaire entre la cause et l’effet. Ce discours fait bouger les stratégies de la femme qui, d’habitude, critique le comportement de l’homme et essaie de le changer au lieu de le rencontrer sur son terrain pour pouvoir bien négocier son statut. Cela ne signifie pas que la femme doit faire des compromis ou adopter le point de vue de l’homme comme tel, mais de le prendre en considération (Kourilsky, 2014) pour être plus stratège et pour résoudre les problèmes qui s’aggravent parfois à cause des tentatives des solutions mises en œuvre sans résultat. Quelquefois, les personnes puisent leur énergie en cherchant la bonne solution tout en cumulant les problèmes sans le savoir (Bériot et George, 2007) et la femme stratège doit savoir comment éviter ce piège. Comment les femmes qui vivent sous la dominance d’un système rigide doivent-elles s’outiller pour devenir stratèges?
Nous partons de l’hypothèse, présentée dans la partie précédente, que le développement[6] de la femme à la suite de son interaction avec des outils culturels reste minime, surtout que dans le système patriarcal, la marge des règles instaurée par la société est limitée et stricte et ne changent pas facilement. Cette situation est à l’opposé du système sain qui évolue à partir de l’instauration de nouvelles règles et s’adapte alors à l’environnement (Marc et Picard, 1984). Donc, les femmes sont soumises à des règles qu’elles adoptent inconsciemment. Quel que soit le système, bon ou mauvais, il se reproduit toujours, car les règles sont appliquées et respectées par les partenaires (Watzlawick, Helmick, Jackson, 1967). La femme, par ses tentatives de changement, a inconsciemment conservé ou reproduit le système patriarcal. Pour mieux comprendre comment l’homme et la femme se positionnent l’un par rapport à l’autre à l’intérieur de ce système et pour regarder les marges de changement, nous faisons appel aux deux types de rapports qui définissent l’interaction entre l’homme et la femme : les rapports symétriques et les rapports complémentaires (Kourilsky, 2014; Watzlawick, Helmick, et Jackson, 1967).
Nous verrons, dans ce qui suit, deux postulats pour analyser la reproduction et l’autorégulation du système patriarcal qui règne, et un troisième qui prévoit la progression naturelle du processus de changement.
La reproduction du système patriarcal: dominant versus dominée – faire la même chose
Dans ce cas, il s’agit des rapports complémentaires où l’attitude de l’un requiert une attitude contradictoire dominant-dominé. Dans cette catégorie seront inscrits tous les cas où le comportement des membres est fondamentalement différent (Bateson, 1977). Dans une relation complémentaire, il y a deux positions différentes possibles. L’un des partenaires occupe une position désignée comme supérieure ou haute et l’autre, une position inférieure ou basse (Kourisky, 2014). Notre contexte socioculturel à l’étude a fixé la relation complémentaire homme dominant – femme dominée. Il se peut que l’homme adopte un comportement autoritaire considéré culturellement approprié auprès de la femme qui répond par la soumission. S’il n’y a pas de facteurs externes et d’exploitation positive de ces facteurs et s’il n’y a pas régénérescence de nouveaux outils, cette soumission engendre encore plus d’autorité de la part de l’homme et la femme devient alors plus soumise. Il y a donc un changement circulaire à l’intérieur de ce système: chaque fois que l’homme est plus autoritaire, la femme devient plus soumise (Bateson, 1977). Cette relation n’est pas due nécessairement à un comportement imposé par l’un ou par l’autre, mais chacun d’eux se comporte d’une manière qui présuppose, et en même temps justifie, le comportement de l’autre et l’accepte. Ce changement est dit minimal (Bateson, 1977) dans le sens où la femme exécute le message qu’elle reçoit de la part de l’homme. La relation est basée sur la différence et le comportement de l’un complète celui de l’autre (Watzlawick, Helmick, et Jackson, 1967). La relation risque être solide et inchangeable si la femme n’agit pas pour la changer. La femme peut alors prendre la relève, surtout que la différence maximisée peut conduire les partenaires à devenir si différents dans leur appréhension du monde, ce qui accroît l’écart entre eux et génère des problèmes. N’est-ce pas ce qui s’est passé dans l’histoire des relations femme-homme? Si la reproduction du système crée plus de problèmes, un changement est requis dont le but est de transformer le système lui-même et de changer les règles Bateson (1935, cité dans Watzlawick, Helmick, et Jackson, 1967: 13), sans oublier l’action des facteurs externes qui déstabilisent le système avec le temps. Si cette différence ne peut pas être refrénée, elle peut aboutir à l’effondrement du système (Bateson, 1977). C’est le cas typique des sociétés arabes qui souffrent du régime patriarcal qui se reproduit continuellement. La femme qui se croit contestante, promeut, sans le savoir, le même système en faisant toujours «la même chose».
L’autorégulation du système patriarcal : faire autre chose
Une fois que la femme se sent frustrée, la complémentarité dégénère. La femme, partant de son expérience, doit trouver un moyen pour faire autre chose, pour changer de stratégies afin d’élargir la marge des règles et pour négocier davantage ses attentes. Donc, son action commence de l’intérieur du système vers l’extérieur. Elle cherche à se positionner différemment par rapport à l’homme. Une relation de compétition semble apparaître. Nous parlons d’un rapport symétrique qui signifie que les deux personnes ont le même comportement (Bateson, 1977). Il s’agit d’une compétition pour la position haute (Kourilsky, 2014). Dans ce jeu de pouvoir, l’un des partenaires définit sa position comme haute et redéfinit la position de l’autre comme basse alors que ce dernier, pour sa part, définit sa position comme haute. Ce type de relation est basé sur l’égalité et la différence est minimalisée (Watzlawick, Helmick, et Jackson, 1967). À ce niveau, la femme se comporte vis-à-vis des messages reçus de l’homme en fonction de son interprétation de la situation. C’est un jeu de définition et de négociation de l’identité et des valeurs respectives des partenaires. La femme peut donc se donner une identité, un rôle et une valeur et peut soit accepter, soit refuser de reconnaître l’identité et le statut que l’autre lui donnerait (Bateson, 1977). La femme est en phase de négociation interne sur son statut et sur la manière dont elle doit se comporter. Elle réagit pour transformer le système lui-même et pour changer les règles tout en interagissant avec des outils du contexte (livres, expérience personnelle, expérience de l’autre, technologie…).
Pourtant, il se peut que le système réagisse à tout dérèglement de la part de la femme par une série d’actions régulatrices qui ramènent l’ensemble à son état initial (Watzlawick, Helmick, et Jackson, 1967), ce qui résulte des solutions adoptées par la femme. Les participants de ce système ne sont pas nécessairement conscients des règles (d’autorité et de soumission) qu’ils adoptent, même quand leur comportement montre qu’ils se conforment à ces règles (Bateson, 1977). Le système est toujours plus rigide que les actions adoptées par la femme pour le changer. Est-ce que c’est l’homme qui n’a pas accepté la position haute de la femme? Est-ce que c’est la manière dont la femme combat pour la position haute? Est-ce qu’elle a pris en considération les points de vue de l’homme et ses perceptions? Pour promouvoir n’importe quel changement, les participants doivent se situer à des niveaux semblables (Bériot et George, 2007), ce qui fait que la compétition pour la position haute n’est pas nécessairement efficace. Il se peut aussi que l’échec des femmes dans le changement de leur statut soit attribuable à la domination du système patriarcal hégémonique sur l’idéologie et les croyances féministes. La femme a besoin d’exploiter davantage son expérience avec le système et ses éléments. Pour parvenir à un changement, l’action envisagée doit conduire à une modification irréversible du système et à l’atteinte de nouveaux résultats (Bériot et George, 2007). C’est aussi le cas typique de plusieurs sociétés dans le monde arabe où la femme fournit un effort et s’implique dans le courant de changement, mais en vain. Quand et comment y aboutir? Cela pourra exiger un passage à un stade plus compliqué de communication avec l’homme, mais aussi avec le soi.
Faire autre chose : évolution du système patriarcal?
Le rapport est toujours de type symétrique, mais sans niveau (Kourilsky, 2014), dans le sens que les deux groupes ou les deux partenaires occupent le même niveau et s’acceptent tels qu’ils sont et se respectent mutuellement. Pourtant, la complication s’ajoute si les rapports ne sont pas compris et appliqués d’une façon uniforme de la part de ceux qui sont impliqués. Cela exige un effort des deux partenaires et, comme nous l’avons mentionné auparavant, un changement dans les perceptions de la femme en ce qui concerne, d’une part, son comportement envers l’homme, et d’autre part, sa vision sur le rôle et l’importance de le rencontrer sur son terrain. Dans ce cas, la communication passe à un niveau plus complexe qui est celui du contexte (Bateson, 1977). La femme apprend plus de ses expériences et sait comment les exploiter. Elle définit et négocie son rôle, son rapport à soi et les rapports sociaux institués. Elle peut généraliser son expérience et établir plus de liens avec le vécu et avec les situations dans son contexte. La femme est devenue plus consciente de ce qu’elle fait et est plus en mesure de constater les erreurs et ne pas les répéter. Elle négocie plus pour sa position et utilise les outils nécessaires pour une négociation efficace tout en apportant l’essence de son expérience avec l’homme et les éléments du système patriarcal. Avec le temps, le changement créé devient de moins en moins dépendant des conditions d’origine (Bériot et George, 2007). Avec la cumulation des expériences et l’internalisation des nouveaux outils et des stratégies de négociation et d’échanges, le changement devient de plus en plus facile et déconnecté de l’histoire personnelle de la femme. C’est ce que la femme vise atteindre et qui exige un combat précoce, mais stratégique.
Conclusion
L’analyse nous permet de supposer que le changement et l’évolution du statut de la femme semblent difficiles dans un système rigide, pauvre en outils et en interactions efficaces. Est-ce que les femmes occupent-t-elles une position basse en raison du système patriarcal ou ce système s’améliore-t-il en raison de la position occupée pas les femmes? Comme la relation interpersonnelle n’est pas facile à analyser, car elle ne dépend pas seulement du comportement des partenaires, il ne faut pas l’envisager dans une perspective linéaire (c’est de sa faute) où chacun va essayer de corriger le comportement de l’autre, ce qui pourra aggraver la situation. Est-ce que les femmes du Moyen-Orient ont transporté le problème avec elles même si elles ont parfois changé de position? Communiquer ne signifie pas informer. Communiquer, c’est intervenir pour changer l’état de la situation d’autrui, sa construction de la réalité pour susciter des comportements différents (Kourilsky, 2014). Finalement, la relation complémentaire homme dominant-femme dominée n’est qu’une extrapolation du régime politique de dictature dont le comportement de ses alliés pousse la dictature à un autoritarisme toujours plus grand (Bateson, 1977).
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[1] – PhD en Psychopédagogie – Faculté des Sciences de l’éducation – Université de Montréal Postdoctorante et chercheure-Université du Québec à Montréal
[2] Nous avons utilisé la nomination comme telle sans défendre aucune position politique.
[3] Dans le sens de savoir comment revendiquer le changement dans son statut.
[4] Patriarcal dans le contexte de l’article.
[5] Nous songeons alors au média, livres, cinéma, lieu de travail, vie économique, scolarité, littératie, valeurs et normes…).
[6] Dans le sens d’acquérir un changement.